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Appel contre une ordonnance rejetant une requête : point de départ du délai

Civ. 2e, 28 mars 2024, n° 22-11.631

Le délai de recours d'une ordonnance rejetant une requête commence à courir à la date de son prononcé, à moins que le requérant justifie n’avoir pas eu connaissance de l’ordonnance à la date de son prononcé.

Ludovic LAUVERGNAT
Maître de conférences à l’Université de Tours
Membre de l’IRJI François-Rabelais
Commissaire de justice associé

  1. Il semble difficile de comprendre pourquoi certains contentieux perdurent. Certes, il y a l’imagination galopante des plaideurs, mais cette imagination pourrait parfois être canalisée. La procédure sur requête constitue un terreau privilégié nourrissant ces demandes plus ou moins « fondées ». Pour comprendre l’allongement de certaines procédures, il suffit de lire l’article 496 al. 1er du Code de procédure civile : « S’il n’est pas fait droit à la requête, appel peut être interjeté à moins que l’ordonnance n’émane du premier président de la cour d’appel. Le délai d’appel est de quinze jours. L’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse ». En si peu de mots, voilà une voie toute tracée pour le demandeur déçu par le résultat d’une procédure sur requête. Et ces « si peu de mots » sont l’explication à la lenteur de certains contentieux.
  2. L’arrêt rapporté est un exemple de ces litiges qui demeurent un mystère : laissée orpheline par les textes, la Haute juridiction s’attèle – avec courage – à dessiner le régime de l’appel d’une ordonnance de rejet. Si dans ce cas, l’article 496 fixe le délai à quinze jours pour interjeter appel, il reste muet pour ce qui est du point de départ du recours. Dans le silence du texte, la jurisprudence a fait son œuvre : le délai d’appel court à compter du jour du prononcé de l’ordonnance ou de la date à laquelle le requérant a eu connaissance de l’ordonnance de rejet. Un arrêt du 16 mai 1990 avait ainsi affirmé au sujet du rejet d’une demande d’inscription provisoire d’une hypothèque judiciaire : « dès lors qu’il n’y avait pas lieu à exécution de l’ordonnance, qui avait rejeté la requête, ni, en l’absence de partie adverse, à sa notification, le délai de recours, n’étant pas démontré que la minute de cette ordonnance n’ait pas été délivrée lors de son prononcé, avait commencé à courir dès la date de l’ordonnance »[1]. Deux enseignements peuvent être tirés de cette solution. Le premier enseignement est que la Cour pose ici une présomption s’agissant de la détermination du point de départ du délai d’appel : il est présumé que la minute de l’ordonnance a été remise au requérant dès son prononcé, de sorte que le délai commencera à courir à compter de la date figurant sur la décision. Le second enseignement est qu’il y a là une présomption simple, car la Haute juridiction ouvre la porte au raisonnement inverse. En somme, pour la détermination du point de départ du délai d’appel, le principe est celui du prononcé de l’ordonnance de rejet et l’exception est la prise de connaissance par le requérant de la décision postérieurement à son prononcé[2].
  3. L’arrêt du 28 mars 2024 a cela d’intéressant qu’il affirme clairement que la présomption relative à la délivrance de la minute au requérant le jour de son prononcé n’est qu’une présomption simple, qui peut dès lors être combattue par tout moyen : tel est le cas de l’avocat qui n’a pas connaissance de l’ordonnance à la date de son prononcé mais postérieurement. C’est la pierre à l’édifice posée par l’arrêt commenté, même si cet édifice souffre de sa fragilité originelle. Il y a en effet ici un problème de preuve : comment le greffe peut-il prouver que l’ordonnance de rejet a été portée à la connaissance de l’intéressé le jour de son prononcé ? Et comment le requérant prouve-t-il qu’il n’a pas eu connaissance de cette ordonnance le jour-même de sa signature ? On y voit un mauvais jeu, un mano a mano entre le greffe et le requérant dont on perçoit difficilement l’issue.
  4. Comme le regretté Professeur Roger Perrot le soulignait dans l’un de ses commentaires, il y a là « un délai de quinzaine qui ne s’accroche à rien si l’ordonnance n’est jamais retirée. Et comme, faute de notification par le greffe, son retrait dépend en fait d’une initiative du requérant, il faut bien convenir que la solution n’est guère satisfaisante»[3]. Cette solution pourrait devenir satisfaisante en fixant textuellement à l’article 496 alinéa 1er le point de départ de l’appel à la notification de l’ordonnance de rejet, nonobstant certaines positions niant le rôle que peut jouer la notification[4]. Mieux, la simple remise de l’ordonnance de rejet contre émargement du demandeur[5] – qui pour l’heure est seul intéressé par la décision – pourrait être acté textuellement, sans que cela ne bouleverse fondamentalement la pratique. Cet ajout pourrait définitivement mettre un terme à de mauvaises chicanes…

[1] Civ. 2e, 16 mai 1990, n° 89-10.243, Bull. II, n° 105.
[2] Civ. 2e, 16 juill. 1992, n° 90-21.922, Bull. II, n° 212 ; D. 1993, somm. 186, obs. P. Julien ; RTD civ. 1993, 194, note R. Perrot.
[3] R. Perrot, ss. Civ. 2e, 16 juill. 1992, préc.
[4] Civ. 2e, 22 févr. 2007, n° 05-21.314 : « le délai de l'appel ouvert au requérant lorsqu'il n'est pas fait droit à la requête part du jour du prononcé de l'ordonnance ou de la date à laquelle il en a eu connaissance, peu important que la notification de la décision ait été ordonnée ».
[5] V. Art. 667, al. 2e, CPC.