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Bail d’habitation en zone tendue

Civ. 3e, 11 janvier 2024, n° 22-19.891

Lorsque le bien loué est situé dans une zone tendue, le fait pour le locataire de mentionner l'adresse de ce bien dans son congé et de revendiquer le bénéfice d'un préavis réduit au visa de la loi ALUR suffit à préciser et à justifier le motif invoqué de réduction du délai de préavis.

Ludovic LAUVERGNAT
Maître de conférences à l’Université de Tours
Membre de l’IRJI François-Rabelais
Commissaire de justice

  1. Dans le domaine des congés donnés par le locataire, la loi ALUR du 24 mars 2014 a ajouté deux nouvelles hypothèses de préavis réduit, l’une relative au bien loué, l’autre aux ressources du locataire[1]. S’agissant du premier cas, l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 prévoit que le délai de préavis passe de trois mois – le principe – à un mois – l’exception -, lorsque le logement loué se situe « sur les territoires mentionnés au premier alinéa du I de l’article 17» de ladite loi, à savoir les « zones tendues », c’est-à-dire grossièrement les zones d’urbanisation de plus 50 000 habitants dans lesquels existe un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements avec en conséquence des difficultés récurrentes pour se loger[2].
    Pour autant, autre nouveauté là encore de la loi ALUR, si le locataire souhaite profiter de ce préavis réduit, il doit motiver son congé. Toute la problématique va être ici de savoir quelles sont les justifications à apporter dans le cas où le bien se situe en « zone tendue ». C’est là tout l’apport de l’arrêt de la troisième Chambre civile rendu le 11 janvier 2024.
  1. En l’espèce, le bailleur, discutant le préavis réduit dont le locataire se prévalait, appliqua un préavis de trois mois : qui dit application du préavis de trois mois, dit facturation de loyers supplémentaires. C’est dans ce contexte que le preneur, souhaitant obtenir le remboursement des loyers postérieurs au délai d’un mois et l’octroi de dommages-intérêts, saisit la justice. Condamné en première instance, le bailleur se pourvu en cassation en arguant l’absence de justification valable dans le congé. Les moyens avancés n’ont pas convaincu la Haute juridiction : « lorsque le bien loué est situé sur l’un des territoires mentionnés au premier alinéa du I de l’article 17 de la loi du 6 juillet 1989, auquel renvoie le 1° de l’article 15 précité, le fait pour le locataire de mentionner l’adresse de ce bien dans son congé et de revendiquer le bénéfice d’un préavis réduit au visa des dispositions de la loi Alur suffit à préciser et à justifier le motif invoqué de réduction du délai de préavis». L’arrêt de rejet intéresse alors doublement : au regard du fond d’abord où il pose les conditions du préavis réduit dans l’hypothèse en question et ensuite, au regard de la forme, où il éclaire sur ce qu’il y a lieu de mentionner sur ce type de congé.
  1. La solution ne semble pas souffrir de contestation : le préavis réduit fondé sur la situation du bien loué en « zone tendue » est suffisamment justifié par l’indication dans le congé de l’adresse du bien et de la volonté de bénéficier de la réduction. Dans le prolongement, aucune autre exigence de motivation ne serait nécessaire pour respecter les conditions textuelles. Y-a-t-il lieu de s’en étonner ? Peut-être, mais ce serait pour de mauvaises chicanes, qui y verraient une différence entre l’indication de la seule adresse du bien et l’indication que ce bien se situe en « zone tendue ». Or, à partir de l’instant où l’adresse du bien est donnée, chacun doit savoir que le bien est soumis au régime de la « zone tendue » : nemo censetur ignorare lege. Et le bailleur ne connaît-il pas l’adresse du bien qu’il loue ? N’a-t-il pas connaissance que le logement qu’il loue est situé en « zone tendue » alors même qu’il se doit de respecter un régime particulier notamment pour la fixation du loyer ? De là, l’idée que même la mention de l’adresse dans le congé peut apparaitre superflue, autant d’ailleurs que celle du souhait du locataire de bénéficier de la réduction : le préavis réduit est seulement lié à la situation du bien.
  1. Finalement, la Cour de cassation présente ici un véritable numéro de contorsionniste. La raison en est simple : le texte exige indifféremment – pour l’ensemble des cas offrant la réduction du délai de préavis – que dans le congé figure la justification. Or, comme un auteur l’a souligné[3], ce congé est conditionné, non par la situation personnelle du locataire laquelle échappe au bailleur, mais par la localisation du bien loué laquelle est, dans l’ordre normal des choses, connue du bailleur. Or, le bailleur ne peut ignorer que le bien qu’il loue est en « zone tendue », ce qui revient juridiquement à dire, que la localisation du bien laisse présumer à elle-seule l’application du préavis réduit : ce serait peut-être ici ruiner les exigences textuelles pour un cas qui tend à prendre de plus en plus d’ampleur.
[1] Ce dernier bénéficie en effet d’un préavis réduit à un mois lorsqu’il s’est vu attribuer un bien ouvrant droit 
à l’aide personnalisé au logement de l’article L. 831-1 du Code de la construction et de l’habitation.
[2] V., en dernier lieu, pour les secteurs concernés : D. n° 2023-822, 25 août 2023.
[3] Y. Rouquet, obs. ss. Civ. 3e, 11 janv. 2024, Dalloz actualité 18 janv. 2024.