Immunité d’exécution internationale : preuve de l’affectation diplomatique d’un bien immobilier

Lorsque le juge de l’exécution est saisi d’une demande d’autorisation d’une mesure d’exécution visant le bien d’un État étranger, il appartient au créancier, une fois que l’État a allégué que le bien est affecté à une mission diplomatique, de renverser la présomption d’affectation diplomatique, en produisant la réponse du service du protocole du ministère français des Affaires étrangères.

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Guillaume PAYAN
Professeur à l’Université de Toulon

Directeur-adjoint du CDPC J.-Cl. Escarras (UMR CNRS 7318 DICE)

Civ. 2e, 12 juin 2025, no 21-11.991

1. S’il est des contentieux emblématiques qui contribuent au fil du temps à façonner des pans entiers d’une discipline juridique, celui opposant la société Commissions import-export (société Commisimpex) à la République du Congo et l’arrêt prononcé le 12 juin 2025 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation1 en sont une nouvelle illustration2, en matière de régime juridique applicable aux immunités d’exécution internationales.

2. En exécution de deux sentences arbitrales exécutoires condamnant la République du Congo à lui payer une certaine somme, la société Commisimpex a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière visant notamment deux biens immobiliers situés en France. Alors qu’un premier juge a annulé ce commandement, un arrêt d’appel partiellement infirmatif a ordonné la vente du premier immeuble et rejeté la demande visant la vente forcée du second.
Saisie du pourvoi principal formé par la République du Congo et du pourvoi incident de la société Commisimpex, la deuxième chambre civile a sollicité pour avis la première chambre civile, en application de l’article 1015-1 du Code de procédure civile3. Les interrogations avaient trait à la preuve de l’affectation diplomatique des biens appartenant à un État étranger.
Pour rappel, les immunités bénéficiant aux États étrangers et à leurs émanations font l’objet de dispositions spécifiques – issues de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin 2 » – insérées dans le Code des procédures civiles d’exécution, aux articles L. 111-1-1 et suivants. Or, lorsque les biens sont affectés à une mission diplomatique ou assimilée, ils bénéficient d’une protection accrue. Selon l’article L. 111-1-2, 3°, les mesures conservatoires ou les mesures d’exécution forcée visant un bien appartenant à un État étranger peuvent être autorisées par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris « lorsqu’un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l’État concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit État autrement qu’à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée », étant entendu que « sont notamment considérés comme spécialement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État à des fins de service public non commerciales, les […] biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’État ou de ses postes consulaires […] ». Et l’article L. 111-1-3 d’ajouter que « des mesures conservatoires ou des mesures d’exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique des États étrangers […] qu’en cas de renonciation expresse et spéciale des États concernés ». Sans revenir sur l’important contentieux relatif aux conditions de la renonciation de l’État débiteur à son immunité – et, singulièrement, au caractère « spécial » de cette renonciation –, on comprend aisément l’enjeu de clairement définir le régime probatoire relatif au caractère (non) diplomatique des biens litigieux4.

3. Dans le sillage de l’avis prononcé le 22 janvier 2025 par la première chambre civile, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fait sienne une solution équilibrée consacrant une présomption d’affectation diplomatique des biens de l’État étranger (I), susceptible d’être renversée par le créancier (II).

I] Établissement d’une présomption d’affectation diplomatique

4. Fort logiquement, une large place est conférée à l’avis de la première chambre civile du 22 janvier 2025, dans l’arrêt présentement analysé5. Deux apports majeurs peuvent être dégagés : l’un sur l’importance donnée aux déclarations de l’État débiteur, l’autre sur l’indifférence entourant les signes extérieurs.

5. Allégation de l’État débiteur. Aux fins d’application de l’article L. 111-1-2, 3°, du Code des procédures civiles d’exécution précité, « l’allégation qu’un bien immobilier, objet d’un commandement de payer valant saisie immobilière, abrite la résidence de son ambassadeur permanent auprès de l’UNESCO ou sa paierie en France permet, à elle seule, de fonder la présomption d’affectation diplomatique de ces biens ». La formulation utilisée laisse peu de place au doute : la déclaration de cet État se suffit à elle-même pour établir la présomption d’affectation diplomatique. Cette donnée est, de surcroît, confortée par la solution retenue au sujet des drapeaux et autres signes distinctifs pouvant orner certains bâtiments.

6. Indifférence de l’apposition du drapeau. Est indifférente, la circonstance d’apposer ou de ne pas apposer le drapeau ou l’emblème de l’État étranger débiteur sur l’immeuble litigieux. Si cette solution ne manque pas de justification (absence d’obligation d’identification, motifs de sécurité…), reconnaissons que l’on prive ici les créanciers d’indices très utiles dans les démarches entreprises pour récupérer leur dû.
Ces créanciers ne sont cependant pas totalement démunis : il s’agit d’une présomption simple et non irréfragable d’affectation diplomatique.

II] Renversement de la présomption d’affectation diplomatique

7. Le régime probatoire dépeint par la Cour de cassation, qui confère un rôle central au ministère français des Affaires étrangères, peut se recommander de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.

8. La sollicitation du ministère des Affaires étrangères. Il résulte de l’avis de la première chambre civile du 22 janvier 2025 que le créancier poursuivant peut renverser la présomption d’affectation diplomatique. Au vrai, il ne dispose pour ce faire que d’un moyen unique : produire la réponse du service du protocole du ministère des Affaires étrangères indiquant qu’il n’a point reçu de déclaration d’affectation ou qu’il y a objecté ou, s’agissant des bureaux situés dans d’autres localités que celles où la mission elle-même est établie, qu’il n’a pas délivré d’autorisation6. De façon très opportune, les conseillers de la deuxième chambre civile précisent que « le cas échéant », le créancier a la possibilité de « former une demande au juge de l’exécution à l’effet, pour ce dernier, d’obtenir communication de la réponse »7. Il y a là une aide particulièrement bienvenue.

9. La justification conventionnelle. La justification fondée sur les dispositions de la Convention de Vienne de 1961 s’opère en deux temps. Tout d’abord, il est rappelé que l’établissement des relations diplomatiques entre les États et l’envoi de missions diplomatiques permanentes s’opèrent par « consentement mutuel » (Conv., art. 2). Ainsi, l’État accréditant (pays d’origine des diplomates) ne peut faire l’économie, sinon d’obtenir l’autorisation expresse de l’État accréditaire (pays où se trouve la mission diplomatique), du moins de l’informer, au risque de se voir opposer une objection. Ensuite, est mis en avant le principe de l’« unicité du statut » de l’immeuble visé par la procédure d’exécution. Ce faisant, dans un souci de sécurité juridique, il y a lieu d’appliquer les mêmes règles pour l’ensemble des effets8 de l’affectation d’un immeuble à une mission diplomatique. Il en va ainsi de l’inviolabilité, de la protection policière et de l’exemption fiscale de cet immeuble, comme de l’impossibilité de procéder à sa saisie.
À l’égard du pourvoi incident formé par Commisimpex, il est tiré une conséquence originale de cette « unité du statut » de l’immeuble.
L’« insaisissabilité » de l’immeuble litigieux est analysée comme la conséquence de son affectation diplomatique qui, elle-même, est déduite de la circonstance que cet immeuble avait fait l’objet d’une exemption fiscale au sens de l’article 23 de la Convention de Vienne9. On dépasse ici le stade de la simple présomption, pour atteindre celui de l’établissement de la preuve de l’affectation diplomatique de l’immeuble.

  1. Dans cet arrêt, la Cour de cassation statue également sur une affaire similaire opposant la République du Congo à la société Orange ; les deux instances ayant été jointes et traitées de concert dans l’arrêt d’appel attaqué. ↩︎
  2. V. not. G. Payan, « Mise à l’écart de l’immunité d’exécution internationale : un régime juridique (toujours) en quête de prévisibilité et de cohérence », RCJPP mars-avr. 2024, p. 10. ↩︎
  3. Civ. 2e, 12 sept. 2024, no 21-11.991. Cette démarche doit être saluée – singulièrement à propos de la thématique politiquement et économiquement sensible des immunités d’exécution internationales –, en ce qu’elle permet d’éviter d’éventuelles incohérences dans la jurisprudence de la Cour de cassation. ↩︎
  4. V. déjà, G. Payan, préc. ↩︎
  5. Arrêt, pts 13-31. ↩︎
  6. Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, le ministère avait indiqué ne pas avoir reçu de déclaration d’affectation, la saisie du premier immeuble litigieux avait donc pu être valablement autorisée. ↩︎
  7. Arrêt, pt 35. ↩︎
  8. Conv. de Vienne, art. 22. ↩︎
  9. Arrêt, pts 43-48. ↩︎