De l’art de concilier le droit commun et le droit spécial en matière de référé

La remise d’une copie de l’assignation au greffe du tribunal de commerce huit jours avant la date prévue pour l’audience ne s’impose plus lorsque le président du tribunal de commerce est saisi en référé.

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Nicolas HOFFSCHIR
Maître de conférences à l’Université d’Orléans

Civ. 2e, 22 mai 2025, no 23-14.133, publié

1. Tout le monde sait que, lorsqu’une instance est introduite par assignation, une copie de cet acte de procédure doit être placée au greffe de la juridiction avant que se tienne l’audience. Cela vaut même si aucun texte ne le prévoit expressément1, puisque, en l’absence de tout remise d’une copie, le tribunal n’est pas même saisi et, en principe, n’a pas à rendre la moindre décision. S’il est bien prévu dans les dispositions communes à toutes les juridictions – ces « règles fondamentales applicables abstraction faite de la nature de chaque juridiction »2 – que la demande en référé peut être portée par voie d’assignation3, le délai dans lequel son placement doit intervenir n’est pas spécifié.

2. Confrontée à ce silence textuel, la cour d’appel de Paris, saisie d’un recours dirigé contre une ordonnance rendue en référé par le tribunal de commerce, a cru bon de mélanger droit commun et droit spécial : elle a ainsi fait application des dispositions de l’article 857 du Code de procédure civile qui prévoient que le tribunal de commerce est saisi par la remise au greffe d’une copie de l’assignation qui, sous peine de caducité, doit intervenir au moins huit jours avant la date prévue pour l’audience. Ce n’est pas la seule juridiction du second degré à avoir procédé ainsi4. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’a cependant pas partagé cette manière de voir les choses et, dans un arrêt rendu le 22 mai 2025, a jugé que les dispositions imposant à celui qui agit devant le tribunal de commerce de déposer une copie de l’assignation au greffe de la juridiction au moins huit jours avant celle-ci ne trouvent pas à s’appliquer lorsque le président du tribunal de commerce est saisi en référé : « la procédure de référé devant le tribunal de commerce est régie par les dispositions communes à toutes les juridictions en matière de référé ». Elle a en conséquence censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris qui avait déclaré, en application de l’article 857 du Code de procédure civile, que l’assignation, dont la copie n’avait pas été remise huit jours avant la date de l’audience, était caduque.

3. La solution retenue par la Cour de cassation peut sans doute se recommander de l’architecture du Code de procédure civile : l’article 857 du Code de procédure civile est contenu dans un chapitre intitulé « la procédure devant le tribunal de commerce », distinct de celui consacré aux pouvoirs du président. Si c’est bien ainsi qu’a raisonné la Cour de cassation, on peut en revanche penser que lorsque le président du tribunal judiciaire statue en référé, une copie de l’assignation doit bien être remise au moins quinze jours avant l’audience5. Mais on peut toujours hésiter à fonder une solution sur le seul plan suivi par les rédacteurs du Code de procédure civile, surtout que, dans le silence des textes quant au délai qui doit être respecté pour procéder au placement, on pouvait penser que l’article 857 devait trouver à s’appliquer. En somme, la solution n’était pas si évidente et le mérite de l’arrêt commenté est, avant toute autre chose, d’avoir fixé une ligne claire. Cette ligne implique que le délai de huit jours qui est laissé par l’article 857 du Code de procédure civile pour procéder au dépôt d’une copie de l’assignation ne s’applique pas lorsque le président du tribunal de commerce est saisi en référé.

4. La finalité des délais laissés aux parties pour procéder au placement varie. Lorsqu’il est imposé, comme c’était le cas devant le tribunal de grande instance6, de respecter un délai après la notification de l’assignation pour procéder au placement, le but est surtout d’éviter la pratique des assignations notifiées aux seules fins d’intimider le destinataire ou de faire courir les intérêts moratoires et d’interrompre les délais de prescription7. La généralisation de la « prise de date » préalable à la délivrance de l’assignation a cependant eu (logiquement) raison de ce délai8. Mais il reste encore des dispositions qui imposent la remise d’une copie de l’assignation dans un certain délai avant que se tienne l’audience ; celui prévu par l’article 857 du Code de procédure civile en fait partie. Il ne s’agit alors plus d’éviter la pratique d’« assignations conservatoires », mais de laisser le temps à la juridiction de prendre connaissance de certains aspects du litige en amont de la première audience, afin que cette dernière se révèle aussi « utile » qu’elle puisse l’être9 ; l’incrustation des modes alternatifs de règlement des litiges est d’ailleurs susceptible de donner une nouvelle utilité à cette audience. Aussi, lorsque le président du tribunal de commerce statue en référé, aucun délai ne lui est ainsi laissé pour préparer l’audience. Cela peut, peut-être, s’expliquer par le caractère provisoire de son intervention. Mais, à l’heure où les décisions rendues en référé mettent fréquemment un terme définitif aux litiges10, on peut regretter que le président de la juridiction ne dispose pas des mêmes délais pour préparer son audience…

  1. À propos des référés : H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de première instance, Sirey, 1991, no 1323. Cf. toutefois soutenant que la remise doit avoir lieu la veille : J. Héron, Th. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, no 561, (note 12). ↩︎
  2. G. Cornu, « L’élaboration du Code de procédure civile », Rev. hist. fac. droit 1995. 241, spéc. p. 248. ↩︎
  3. CPC, art. 485. ↩︎
  4. Versailles, 10 avr. 2025, no 24/05476 ; Lyon, 5 avr. 2023, no 22/04866 ; Douai, 30 mars 2023, no 21/01076. Cf. égal. Paris, 11 janv. 2024, no 23/06096. ↩︎
  5. L’article 754 du Code de procédure civile est en effet contenu dans un sous-titre intitulé « dispositions communes ». ↩︎
  6. CPC, art. 757, réd. ant. D. no 2019-1333 du 11 déc. 2019 réformant la procédure civile. ↩︎
  7. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de première instance, Sirey, 1991, no 321 ; G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 3e éd., Puf, no 171 ; J. Héron, Th. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, préc., no 588. ↩︎
  8. La date d’audience étant fixée par le greffier avant tout placement, l’auteur de l’assignation n’a plus le loisir d’adopter cette posture attentiste après la délivrance de l’acte introductif d’instance. ↩︎
  9. H. Solus et R. Perrot, préc., n° 321. ↩︎
  10. R. Perrot, « L’évolution du référé », Mélanges offerts à Pierre Hébraud, Univ. sc. soc. Toulouse, 1981, p. 645, spéc. no 3. ↩︎